E.L.3 - René BARJAVEL, Ravage, 1943
E.L.3 : René BARJAVEL, Ravage, 1943
C'est l'extrait de notre parcours associé intitulé "Science et fiction". Lisez le texte ci-dessous (vous pouvez le télécharger en cliquant sur le bouton bleu en-dessous) et répondez aux questions suivantes (ce travail n'est pas à envoyer) :
Questions préparatoires :
- Comment le texte suggère-t-il l’ampleur de la catastrophe ? Cherchez plusieurs procédés d’écriture et interprétez-les.
- A quel endroit du texte change-t-on de point de vue narratif ? Justifiez votre réponse.
- Que ressent le personnage de Jérôme Seita ? Cherchez plusieurs éléments de réponse et justifiez-les.
- Comment l’auteur suggère-t-il que l’homme est devenu entièrement dépendant des technologies ?
- Relevez deux figures de style qui vous ont interpellé(e) en lisant le texte. Quel effet produisent-elles ?
- Langue : Etudiez les formes négatives dans l’extrait.
- Quelle image de la science et des technologies ce texte donne-t-il ? En quoi diffère-t-il de Jules Verne ?
- Réflexion : Pensez-vous que les progrès technologiques permettent de faire évoluer les humains ?
Texte :
CORRECTION
La réponse aux questions est formulée de manière à remplacer une étude linéaire traditionnelle.
- Comment le texte suggère-t-il l’ampleur de la catastrophe ? Cherchez plusieurs procédés d’écriture et interprétez-les.
Pour suggérer l’ampleur de la catastrophe, l’auteur s’appuie sur une description de la vue depuis cette terrasse. C’est pour cela que l’on trouve des verbes de vision (« les jeunes gens ne virent plus que » l.9, « Ce que Seita venait de voir » l.14).
Ce spectacle a tout pour être effrayant : le CL de la destruction est omniprésent, en particulier dans des participes passés : « ravagée » (faire le lien avec le titre du roman), « écrasés », « éclaté », « broyés », « pas résisté », « souffert », « broyée »… ainsi que les substantifs (= nom commun) « choc » « débris », « restes », « amas de décombres », « fragments », « débris » à nouveau… Les détails sont nombreux, les expansions du nom abondent dans cette première partie du texte. Le texte évoque aussi des victimes, sans euphémisme : « les restes broyés de leurs occupants » l.6, « cherchaient en vain des survivants » l.11…
Ce CL contraste avec ce qu’il y avait avant, « bâtiments en superstructure », « gare d’aérobus », « vaste bâtisse »… et prend une dimension hyperbolique, avec les accumulations « un amas de décombres, ciment, fer et fragments de plastec », mais aussi les nombres importants « une trentaine », « trois bus », « énorme », « vaste » et la répétition de l’adjectif « tout » : « de toutes dimensions », l.4 et « en tous sens » l.5
Une comparaison permet de faire le rapprochement avec un champ de bataille, l.5 : « avaient éclaté comme des grenades ». Cette image de chaos est d’autant plus inquiétante qu’elle est décrite dans des couleurs effrayantes grâce au soleil levant : celui-ci est évoqué au début du texte, l.2 « un soleil énorme montait à l’horizon » et à la fin du premier mouvement du texte, l.10 « l’étrange lumière du soleil ». Cette lumière crée une atmosphère sanglante : « une lumière rouge » l.2, « teints en couleur d’incendie » (métaphore). La couleur et l’allusion au feu dressent une vision de l’enfer, de l’apocalypse. Et justement, l’un des personnages évoque « la fin du monde » l.17.
- A quel endroit du texte change-t-on de point de vue narratif ? Justifiez votre réponse.
Le 1er mouvement du texte est descriptif, et nous montre ce que les deux personnages découvrent de la terrasse. Ils apparaissent ensemble en sujets de verbes : « Jérôme et Blanche » l.1, « les jeunes gens » l.9 et 12, avec un verbe de sensation « virent » et un adjectif de sentiment « bouleversés ». Le point de vue est donc pour l’instant omniscient.
Mais à partir de la ligne 15, le point de vue change. L’auteur indique clairement qu’on se focalise désormais sur le personnage de Seita : « Ce que Seita venait de voir », « venait de comprendre » « Pour Seita » l.17, « de son monde » l.18. A partir de là, les verbes sont au singulier et il n’est plus question de Blanche (ni de Gaston, le chauffeur). Les modalisateurs le confirment : « il venait de comprendre » l.15, « Il se sentait » l.18, « paraissaient » l.20, « lui paraissait » l.23… Le passage au discours indirect libre le confirme : l’auteur retranscrit ses pensées en nous plongeant dans sa tête grâce notamment aux questions : « Qu’allait-il devenir » (l.16 et 18), « lui qui » l.18… Et des termes connotés évoquent ses opinions : « terrifiante » l.21, « volontiers » l.19, « impeccable » l.23, « naturel » l.23… Enfin, le passé simple (pour les actions de 1er plan) disparaît pour laisser la place à l’imparfait de l’indicatif. Tout cela permet d’affirmer que l’on a basculé sur un point de vue interne à la 3ème personne.
- Que ressent le personnage de Jérôme Seita ? Cherchez plusieurs éléments de réponse et justifiez-les.
La 1ère moitié du texte ne laisse pas beaucoup de place aux sentiments, afin de pouvoir développer la description. Mais la 2ème moitié est une véritable introspection (on plonge dans ses pensées). La répétition de certaines tournures suggère que Seita est décontenancé : « Qu’allait-il devenir », ainsi que l’anaphore l.13 : « c’était plus que la fin d’une ère, c’était vraiment la fin du monde, de son monde » : le rythme ternaire ajoute au caractère intense de la phrase.
Plusieurs comparaisons et métaphores nous disent à quel point il est déstabilisé : « comme un voyageur abandonné nu au milieu du désert », « l’amputait de mille membres » l.24. L’idée d’abandon est reprise à la fin du texte avec la redondance « le laissait seul avec lui-même ».
La soudaineté de ce changement le met devant le fait accompli et augmente son désarroi : « Il venait de » l.15 (expression du passé proche) ; « D’un seul coup » l.24, mais aussi l’idée que son avenir dépend de peu de choses : « Mais alors » l.16 (avec les doubles connecteurs), « Si cet état de choses se prolongeait » l.16 (prop. sub. circonstancielle hypothétique). Les expressions suggérant un grand bouleversement sont nombreuses : « la gravité de la situation » l.14, « toute la civilisation » l.16, « tout cela » l.24, « s’écrouler » l.17, « disparaissait » l.24.
- Comment l’auteur suggère-t-il que l’homme est devenu entièrement dépendant des technologies ?
Tout d’abord, le texte mentionne de nombreux objets relevant d’une technologie plus ou moins avancée : « garage », « avions », « bus », « plastec », « wagons suspendus », « superstructure », « gare d’aérobus », « moteur » (2x), « machines », « appareils perfectionnés »… Ces éléments sont évoqués comme étant tout à fait normaux, voire plus : la comparaison « aussi naturel que » l.23 et la métaphore « l’amputait de mille membres », met à égalité les machines et les organes du corps. C’est comme si la technologie était vivante elle aussi, et autonome. Les hommes n’ont plus à se poser de questions. Elle était un « secours » l.19.
Maintenant qu’elle n’est plus opérationnelle, ils sont complètement démunis.
On note par exemple l’opposition entre ce que peut faire Seita avec ou sans moteur autour de la conjonction de coordination « mais » l.20 : d’un côté, « quelques milliers de kilomètres », de l’autre « cinq cent mètres » ; d’un côté la facilité (« parcourait volontiers »), de l’autre la difficulté (« une distance terrifiante ») ; d’un côté la technologie (« le secours des moteurs »), de l’autre son absence (« s’il s’agissait de la couvrir à pied »). De même plus loin, deux phrases s’opposent de façon nette et se trouvent l’une après l’autre en évoquant la figure du parallélisme : « Il n’avait jamais rien fait » / « Il avait toujours eu ». Ces phrases soulignent donc bien deux modes de vie opposés dont l’élément central est la machine.
C’est pour cela que sans machine, il est réduit à l’état de « voyageur abandonné nu au milieu du désert », « amputait de mille membres », « seul avec lui-même » (voir question précédente). C’est pour cela aussi que les humains sont décrits ici comme complètement impuissants : « en vain » l.11, « avait renoncé » l.12, et les très nombreuses phrases à la forme négative (voir question 6). En particulier la ligne 15 : le mot « machine » set repoussé en fin de paragraphe et donc mis en relief. Cette phrase, plutôt courte, prend l’allure d’une sentence.
- Relevez deux figures de style qui vous ont interpellé(e) en lisant le texte. Quel effet produisent-elles ?
Je ne peux pas répondre à votre place à cette question ! Tout dépend des figure de style que vous avez repérées. Les plus évidentes sont bien sûr les comparaisons et métaphores, mais vous en avez j’espère remarqué d’autres. Si vous avez un doute sur votre réponse, vous pouvez poser la question à la fin de l’article dans les commentaires.
- Langue : Etudiez les formes négatives dans l’extrait.
- leur plastec n’avait pas résisté (l.6)
- les bâtiments n’avaient presque pas souffert (l.8)
- les jeunes gens ne virent plus qu’un amas (l.9)
- il ne fallait plus compter sur les machines (l.15)
- lui qui ne se déplaçait jamais que (l.19)
- Il n’avait jamais rien fait (l.21)
Premier constat : on ne trouve pas de négation lexicale, seulement des négations grammaticales.
Deuxième constat : les deux premières sont des négations totales (ne…pas).
Toutes les autres sont des négations partielles. On constate qu’elles sont combinées (double adverbe de négation) pour 3 d’entre elles.
Deux restrictives (ne…que, phrases c et e) suggèrent que les sujets sont limités dans leurs possibilités (à savoir voir et se déplacer).
Les quatre dernières (c, d, e et f) s’inscrivent en même temps dans une notion temporelle, « ne… plus » et « ne…jamais », renforçant l’idée que le texte souligne un bouleversement, un « avant » et un « après ».
A noter que dans la e), la double négation s’applique et peut être remplacée par une affirmative : « il ne se déplaçait jamais que par le secours des moteurs » = « il se déplaçait toujours par le secours des moteurs ». Alors que dans la f), « jamais rien » permet de renforcer le caractère négatif, donnant l’idée que ce constat est absolu, sans exception.
- Quelle image de la science et des technologies ce texte donne-t-il ? En quoi diffère-t-il de Jules Verne ?
Ce texte (et tout le roman) donne l’image d’une science qui a été mise au service de l’homme pour lui simplifier l’existence à un point tel que l’homme en est devenu complètement dépendant et ne peut plus rien faire sans. La technologie a littéralement envahi la civilisation, et son absence subite plonge les hommes dans le plus grand désarroi. Cette coupure d’électricité à grande échelle est le déclencheur d’une véritable hécatombe : les savoirs se sont perdus, on ne sait plus rien faire et la survie dépend pour beaucoup de la chance.
Nous pouvons donc affirmer que pour Barjavel, ce roman prend une dimension fortement critique : il met le lecteur en garde contre notre dépendance aux technologies (le roman date de 1943 !) et invite à rester raisonnable.
C’est donc tout le contraire de Jules Verne qui est fasciné par la science et les techniques et invite à les découvrir, les approfondir. Là où Barjavel dénonce, Verne fait la louange (à mettre en relation avec le registre épidictique : faire l’éloge ou le blâme).
On peut souligner une autre différence : Jules Verne ne décrit que les technologies existantes et s’appuie sur des sciences avérées ; ses romans sont situés à une époque contemporaine de l’écriture. A l’inverse, Barjavel situe son roman dans un futur lointain (1943 > 2052) et invente des appareils, matériaux, techniques (même si certains verront effectivement le jour plus tard). Il s’agit donc d’une dystopie (le monde idéal qu’il décrit dans les premiers chapitres du roman tourne au cauchemar).
Verne et Barjavel ont donc deux approches radicalement opposées de la science dans la fiction. Verne utilise le genre du roman pour faire découvrir la science, quand Barjavel utilise la science pour donner vie à son roman.
- Réflexion : Pensez-vous que les progrès technologiques permettent de faire évoluer les humains ?
A vous de me le dire ! Je vous propose de débattre ensemble à ce sujet en vous rendant dans la partie « forum » du blog en cliquant ici .
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